L’inscription à la Liste du patrimoine mondial et le tourisme : vers une approche intégrée. La Liste du Patrimoine mondial de l’Unesco a été créée par la Convention de 1972 et compte, en 2013, neuf cent quatre-vingt-un biens répartis dans cent soixante états.
Alors que les premières inscriptions ont eu lieu en 1978, relevant d’un processus plutôt confidentiel et peu investi localement, l’inscription au Patrimoine mondial est devenue à présent un enjeu important pour des territoires souvent à l’origine du processus de candidature, dans l’espoir des retombées économiques, touristiques et en termes d’images. Ainsi, pour Bordeaux comme pour Albi, était mentionné au moment de l’inscription l’espoir des retombées touristiques, tandis que le Bassin minier, inscrit en 2012, espère profiter à son tour du changement de regard porté sur son territoire. Même les biens anciennement inscrits réactivent à présent ce label qu’ils avaient peu valorisé dans le passé (Strasbourg par exemple, inscrit en 1988).
Un label empoisonné
Les retombées touristiques constituent un des motifs d’engagement dans une démarche qui apporte une garantie d’excellence du site, tant du point de vue de ses valeurs que de sa gestion. Il est courant d’évoquer un effet Unesco1 , qui se traduit pour certains sites par une augmentation de la fréquentation touristique, constatée dans des villes aussi diverses qu’Albi, Gênes, Valparaiso, Bordeaux, etc… mais aussi une internationalisation des visiteurs et une augmentation de leur propension à payer. Cet effet n’est pas mécanique et relève d’une politique volontariste, marquée par une gouvernance patrimoniale et touristique construisant le bien Patrimoine mondial en destination touristique, y compris avant même l’obtention de l’inscription, durant le processus de candidature, moment de mobilisation des acteurs. Toutefois, des effets pervers de la mise en tourisme sont parfois relevés, en termes de surfréquentation, conflits d’usage, etc. Les premiers textes de l’Unesco, telle la Convention, appelaient explicitement à se méfier des impacts négatifs d’une mise en tourisme trop importante (cf. article 11.4), même si cela ne concerne qu’une partie des sites : sur les soixante biens qui ont été inscrits sur la Liste du patrimoine en péril entre 1978 et 2012, seuls deux l’ont été en raison d’un développement touristique excessif.
Une démarche préalable indispensable
L’Unesco, à travers les recommandations faites aux sites et les Orientations à destination des États, propose des instruments de régulation du tourisme. De nombreux biens français sont à présent engagés dans la réalisation d’un plan de gestion qui intègre le tourisme, notamment en termes de gestion des flux 2 . En amont, le dossier de candidature lui-même doit expliciter les mesures d’évaluation et de gestion du tourisme. Certains sites, tels Albi où le Bassin minier, développent une marque et un logo spécifique permettant d’associer les partenaires socio-économiques à une démarche de qualité.
Toutes ces actions de protection et gestion sont sous-tendues par la sauvegarde de la valeur universelle exceptionnelle du bien, qui justifie l’inscription au Patrimoine mondial. Or, cela entraîne un défi en matière de valorisation touristique : fonder la communication touristique et l’interprétation du patrimoine aux visiteurs sur cette valeur universelle exceptionnelle, c’est-à-dire garantir une exigence dans la transmission du sens auprès des touristes.
Le tourisme est géré désormais de façon transversale, et plus seulement dans ses conséquences négatives. Cela est conforme aux évolutions de la doctrine de l’Unesco sur le tourisme, perçu comme consubstantiel à la mission de la Liste du patrimoine mondial3 . En 2001, la gestion du tourisme dans les biens Unesco devient un des quatre thèmes prioritaires du Centre du patrimoine mondial, sous la forme du tourisme durable. À partir de 2006, le tourisme se dé-thématise et devient transversal à la gestion des biens Unesco, devant explicitement bénéficier au développement local et aux communautés locales. Les démarches visant à transformer les habitants et acteurs en ambassadeurs du Patrimoine mondial se développent. La conception de la place des touristes évolue aussi : le partenariat entre le Centre du patrimoine mondial et Tripadvisor repose sur l’idée que chaque touriste devient lui-même vigilant à l’égard du site et veille sur le patrimoine, donnant toute sa mesure à sa dimension “mondiale”4 .
Sébastien JACQUOT
Maître de conférences en géographie, IREST, université de Paris I Panthéon-Sorbonne
- Pour un approfondissement de ces questions, voir : Gravari-Bargas M. et Jacauor S., 2011, Les impacts de l’inscription au Patrimoine mondial de l’Humanité. Discours et motivations d’acteurs, in Furr J.-M., et Fazi A., Vivre du Patrimoine, un nouveau modèle de développement, Paris, L’Harmattan, p. 253-270. L’économiste Rémy Prud’homme relativise cet effet Unesco : PRUD’’HOMME R., 2008, Les Impacts socio-économiques de l’inscription d’un site sur la Liste du patrimoine mondial : trois études, une introduction, rapport destiné au Centre du Patrimoine mondial, Unesco, 24 p. ↩
- Cf. Gravari-Barsas M. et Jacauor S. (dir.), 2010, Villes françaises du patrimoine mondial et tourisme. Protection, gestion, valorisation, actes du 1er séminaire organisé le 27 mai 2010 par la Chaire Unesco Culture, tourisme, développement (Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne), la Convention France-Unesco et Icomos France. ↩
- Cf l’ouvrage de l’anthropologue Di Giovine M., 2009, Unesco, The Heritage-Scape: World Heritage and Tourism, Plymouth, Lexington Books. ↩
- Voir les bonnes pratiques collectées dans : Amareswar G. (ed.), 2012, World Heritage, Benelits Beyond Borders, Unesco Publishing, Cambridge University Press. ↩